Œuvre réalisée pour le défi Luce – Exposition « Variantes contemporaines du couple Fénéon peint par Maximilien Luce » – Musée de la Faïence et des Beaux Arts.
LE DÉFI : Réinterpréter les deux portraits de Félix Fénéon et Fanny, les 2 portraits doivent être collés et séparés de 3/4 de baguettes noires laissant 20 cm pour relier les œuvres entre elles, intégrer 2 références à des artistes connus , format et structure imposée.
Description
Dans cette œuvre, j’ai revisité les portraits de Félix et Fanny Fénéon, en puisant dans les toiles de Maximilien Luce tout en y insufflant ma propre sensibilité artistique. Ce diptyque est une réinterprétation profondément personnelle, un hommage à un couple énigmatique dont les dynamiques relationnelles se dessinent à travers une tension subtile entre ombre et lumière, entre créativité débordante et soutien silencieux.
Félix Fénéon, figure incontournable du Paris artistique de la fin du XIXe siècle, y est capturé en pleine effusion créative. Assis dans un univers qui reflète son esprit en constante ébullition, il rédige sans fin, un flux ininterrompu de mots qui rappelle ses fameuses «nouvelles en 135 caractères », ces textes brefs où chaque mot porte un poids spécifique. Sa posture, rigide et détachée, souligne ce paradoxe : un homme d’une grande finesse intellectuelle, mais dont l’intensité intérieure est voilée par une façade froide. Le costume noir et le haut-de-forme renvoient à cette image de dandy flegmatique, tandis que le fondvert, couleur de la réflexion, évoque son univers intérieur complexe, parfois hermétique.
Ce vert, apaisant mais austère, fait écho à son rôle de critique et de collectionneur, toujours en quête de l’esthétique parfaite. Le napperon à côté de lui révèle « le bassin des nymphéas» de Monet, une référence directe à l’art impressionniste que Fénéon admirait et défendait.
Ce clin d’œil symbolise aussi sa capacité à déceler la beauté là où d’autres ne verraient que des taches de couleur. Cependant, son corps tourne le dos à Fanny, dans une posture quipourrait suggérer son détachement émotionnel, ou même une forme d’aveuglement face à la contribution essentielle de sa femme à son propre équilibre.
Fanny Fénéon, quant à elle, est illuminée par une lumière ocre chaleureuse, contraste frappant avec l’austérité de son mari. Habituellement reléguée dans l’ombre, elle prend ici une place centrale. Le geste du tricot devient une métaphore puissante : Fanny tricote non seulement du fil, mais aussi les pensées et les mots de Félix, tissant ainsi un lien invisible et pourtant indissociable de son succès. Ce tricot représente la patience infinie, la résilience d’une femme souvent éclipsée, mais qui, dans mon interprétation, se révèle indispensable à la stabilité du couple. Son regard calme et stoïque masque une vie intérieure riche et peut-être sacrifiée, soulignant la dualité de sa condition.
Les références à Magritte ajoutent une dimension surréaliste à la toile. Les oiseaux bleus qui flottent entre Félix et Fanny, issus des œuvres de Magritte telles que « La promesse » ou «La grande famille », symbolisent une liberté spirituelle et mentale, celle que Félix, anarchiste de cœur, défendait si ardemment. Ces oiseaux sont aussi des ponts entre les deux mondes, ceux de l’esprit créatif de Félix et du soutien indéfectible de Fanny. La pomme masquée suspendue derrière Fanny évoque également l’univers mystérieux de Magritte, tout en illustrant sa propre capacité à fermer les yeux sur les infidélités de Félix, préférant préserver une stabilité nécessaire à leur vie commune.
À travers ces symboles, j’ai cherché à rendre visible l’invisible, à révéler les courants sous-jacents de cette relation, où chaque geste, chaque objet, raconte une histoire plus profonde. Le vase de giroflées, un clin d’œil à Maximilien Luce, souligne l’amitié entre les deux hommes, tandis que la sculpture féminine et l’œil posé sur la table, éléments issus de mon propre univers artistique, viennent rappeler l’omniprésence de l’inconscient dans nos vies.
Ces objets surréalistes et légèrement décalés renforcent l’idée que tout regard extérieur est toujours partiel, incomplet. L’œil qui observe mais garde ses secrets suggère que, même dans la plus grande proximité, une part d’intimité demeure inaccessible. Cette œuvre est ainsi un dialogue non seulement avec l’histoire de l’art, mais aussi avec mes propres créations (encore présentes dans les toiles accrochées au murs), un écho au rôle de l’inconscient dans le processus créatif. J’aime à penser que Félix Fénéon aurait eu quelques réflexions inattendues à partager sur cet ensemble onirique, où l’invisible devient palpable.